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20jul20

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Mario Paciolla: justice pour un poète


«Je ne crois pas en la théorie du suicide pour solitude et dépression», affirme dans ce texte la journaliste Claudia Julieta Duque, amie du volontaire retrouvé mort dans le village de San Vicente del Caguán en Colombie.

A peine 24 heures après la remise du dernier rapport de la Mission de Vérification des Nations Unies à New York, une de tes collègues t'a retrouvé mort dans ta maison de San Vicente del Caguán, toi, mon ami poète et journaliste. Ce rapport devait contenir les résultats du travail que tu avais mené en tant que volontaire de cette organisation dans le département du Caqueta, mais exactement comme ça l'a été avec ta mort, l'ONU a gardé le silence.

Ce silence, indigne de toi et de notre réalité, est celui qui m'oblige à écrire, à tenter de rompre avec mes mots le nœud qui me serre la gorge depuis que j'ai su qu'une corde a asphyxié la tienne jusqu'à t'en quitter la vie à l'aube de ce mercredi 15 juillet.

A nous qui connaissions ta vitalité, ton sourire et les critiques que tu faisais à la Mission lorsqu'un collègue souffrant de la dengue attendait d'être évacué afin de recevoir une attention médicale adaptée, l'hypothèse du suicide nous résulte invraisemblable. Tu te demandais ce qu'il se passerait si une couleuvre te piquait, si tu tombais gravement malade à San Vicente. Tu savais déjà à qui demander de l'aide s'il t'arrivait quelque chose ; ce ne serait pas à quelqu'un de l'ONU - tu étais davantage préoccupé par l'impact de la lourde bureaucratie institutionnelle que celui d'une maladie ou d'un accident.

L'amour propre que tu te portais va à l'encontre de la théorie selon laquelle tu aurais été capable de te quitter la vie dans un endroit si éloigné de tes amis, de ta famille et de tes amours, ainsi que de ta Naples bien-aimée, ville que tu allais rejoindre le 20 juillet pour te baigner dans les eaux de la mer Tyrrhénienne et te laver de tout ce qui t'avait sali ces dernières semaines.

Quelques semaines auparavant, tu avais ouvert le cadenas qui verrouillait la grille donnant sur le toit du petit immeuble que tu habitais « au cas où quelqu'un » viendrait pour toi. Est-ce là où ils t'ont retrouvé ? Je ne le saurai pas, en tout cas pour le moment, parce que jamais je n'ai pu te rendre visite, ni à San Vicente, ni à Naples, comme nous l'avions convenu.

«Vedi Napoli e poi muori» (voir Naples avant de mourir). Tu me répétais toujours cette phrase mélancolique pour me rappeler cette promesse que nous nous étions faites en 2018. Tu venais alors de quitter les Brigades de la Paix (PBI) et je me trouvais momentanément en Hollande afin de souffler un peu avant la nouvelle vague de menaces qui venait à mon encontre : à ton retour en Italie, je viendrai t'y rendre visite.

Bien que ton contrat avec la Mission de Vérification se terminait le 20 août, quelque chose s'est passé ce 10 juillet. Ce jour-là, tu t'es disputé fortement avec tes supérieurs, comme tu l'as raconté le jour suivant à ta mère, Anna Motta, alors que tu lui annonçais que tu avais avancé ton voyage en Italie. Tu te sentais alors dégouté.

Les derniers jours avant ta mort, tu insistais que rester en Colombie ou continuer à travailler pour la Mission n'était pas sûr pour toi. C'est pour cette raison que tu as déverrouillé ce cadenas y que tu as commencé à préparer ton voyage. Le mercredi 15 tu aurais dû te rendre à Bogota pour ensuite retourner chez toi. Tu devais faire les démarches administratives qui te permettraient de prendre le vol humanitaire du 20 juillet, démarches qui ne posent pas de problèmes à un fonctionnaire international.

Tu t'es connecté sur le whatsapp de ton téléphone personnel pour la dernière fois le 14 juillet à 22h45. Ce qu'il s'est passé entre ce moment et le matin suivant lorsqu'une ex-volontaire des Brigades de la Paix travaillant désormais pour la Mission a retrouvé ton corps est un mystère. J'ai appelé cette dernière le 16 juillet dès lors que j'ai su ce qu'il s'était passé pour lui présenter mes condoléances, mais j'étais moi-même étouffée par les larmes. » Mario t'aimait beaucoup, il parlait tout le temps de toi. Je savais que vous étiez toujours en contact », m'a-t-elle dit, et je suis seulement parvenue à lui demander qu'elle essaie de récupérer de ton ordinateur les poèmes que tu avais écrits et que tu voulais publier en Italie.

La troisième semaine de juin, lors d'une réunion informelle dans la ville de Florencia - capitale du département du Caqueta d'où opère le Bureau Régional de la Mission auquel est rattaché le bureau sous-régional du Caguan - une de tes collègues t'a accusé d'être un espion. Tu l'as raconté en riant, car tu te moquais toujours de l'absurde. Aujourd'hui, alors que ton départ violent et soudain a éteint ton sourire, je me demande si cet épisode n'était pas un premier signe du danger que tu courais. Que s'est-il passé ce jour-là, qui a fait cette grave accusation, quelles mesures a alors pris Sergio Pirabal, responsable du bureau régional et un de mes anciens collègues à la Commission pour la Vérité du Guatemala ?

Tu riais aussi quand tu as raconté que tu avais été blâmé pour avoir manifesté ton désaccord avec la manière selon laquelle la Mission gérait la pandémie et qui te paraissait discriminatoire. Alors que des facilités de déplacements et de télétravail existaient pour d'autres fonctionnaires, les volontaires devaient se contenter de la solitude et de l'isolement.

Tu étais de ceux qui se rient des choses sérieuses, comme lorsque tu m'avais confié que tu publiais des reportages sur la Colombie pour une revue italienne utilisant un pseudonyme. Ces derniers jours, alors que je cherchais à comprendre ce qu'il s'était passé, j'ai à nouveau cherché tes articles, mais le dernier remonte à juin 2018. Il est clair que tu n'auras jamais violé les principes de la Mission : tu as arrêté d'écrire quand tu as commencé à y travailler.

Non. Je ne crois pas un instant à la théorie selon laquelle tu te serais suicidé par solitude et dépression, théorie à laquelle adhèrent plusieurs de tes amis pour faciliter leur deuil. Je ne crois pas non plus qu'il faille 10 ou 20 jours pour livrer les résultats d'une autopsie. Peut-être le faut-il pour les analyses toxicologiques, mais l'examen médico-légal devrait déjà être terminé et partagé par l'Institut National de Médecine Légale.

Je sais que tu te sentais en colère contre une organisation qui, dans un de ses rapports de 2019, a consacré un paragraphe de seulement six lignes au bombardement mené par l'armée colombienne qui a causé la mort de 18 garçons et filles mineurs recrutés par un groupe dissident de l'ancienne guérilla des FARC. Le fait avait mené au départ de l'ex-ministre de la Défense, Guillermo Botero.

Je sais que tu as documenté d'autres situations de ce genre, tel que le déplacement forcé des familles de ces enfants victimes, et le meurtre de plusieurs d'entre elles. Je sais que t'énervaient le ton prudent des rapports de l'ONU, la relation complexe entre certains membres de la Mission de Vérification et des forces de l'ordre colombiennes, l'embauche de personnel civil qui venait de travailler pour l'armée, la passivité de l'organisation face aux bombardements contre des civils dans le sud du département du Meta et l'augmentation des assassinats sélectifs d'ex-combattants des FARC.

Cela faisait des mois que tu attendais que le bureau du Défenseur des Droits émette une troisième « alerte rapide [1]  » pour San Vicente del Caguan. Cette semaine, Mateo Gomez Vasquez, coordinateur du SAT (Système d'Alerte Rapide) à niveau national, m'a confirmé que dans un mes environ sera émise cette alerte. Elle traitera de la croissance des dissidents des FARC aux commandes de Alias Gentil Duarte et des nouvelles dynamiques du conflit dans cette région du pays. Mais cette fois-ci l'alerte arrive tard. Selon la dernière conversation que tu auras eu avec ta mère le 10 juillet, tu te serais mis dans « un problème » avec tes supérieurs, et je n'hésite pas à affirmer que ce fut le déclencheur de ton suicide simulé.

Depuis une semaine ton nom est présent dans ma tête en lien avec les expressions «enquête exhaustive», «immunité diplomatique» et «étranges circonstances».

Ton départ me déchire le cœur, Mario Paciolla. En tant que volontaire des Brigades de la Paix, tu m'as sauvé la vie. Aujourd'hui, il n'existe qu'une manière d'acquitter la dette que j'ai envers toi : chercher la vérité sur ta mort.

Note [1]: Système d'alertes du Ministère public colombien qui permet de surveiller et d'alerter des situations de risque se présentant pour la population civile dans le cadre du conflit armé interne et qui promeut la prévention humanitaire afin de garantir l'exercice des droits fondamentaux de ces personnes.

[Source: Par Claudia Julieta Duque, Equipe Nizkor, Bogota, 20jul20]

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