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07oct20


Au Parlement européen, l'Allemagne vit un cauchemar


« Je suis un peu perplexe de constater qu'il y a des députés qui osent comparer l'Union européenne à une dictature communiste. » Michael Roth vit un enfer. Non seulement le ministre SPD allemand de l'Europe ne dispose d'aucune marge de manœuvre de la part du Conseil pour négocier avec les eurodéputés, mais quand il se rend, comme lundi soir, au Parlement européen, c'est pour s'entendre dire des horreurs de la part des députés polonais. En cause, le sempiternel problème du respect de l'état de droit. La Pologne et la Hongrie font l'objet d'une procédure de sanction au titre de l'article 7 qui est, en réalité, enlisée au Conseil. Il est désormais question d'inscrire le respect de l'état de droit comme une clause conditionnant le versement des fonds européens du futur budget de long terme (2021-2027).

Il n'en faut pas plus pour que les Polonais se déchaînent sur la présidence allemande de l'UE. « Je n'ai plus de mots lorsque j'entends la présidence allemande au Parlement européen nous parler ici de violation des valeurs dans certains États membres, lui lance Jadwiga Wisniewska, eurodéputée polonaise venue de Silésie (ancienne enseignante). Et je ne trouve plus mes mots lorsque j'entends la présidence allemande parler de justice et d'état de droit. Peut-être est-il temps que vous envisagiez des dommages et intérêts à l'égard de la Pologne après la Seconde Guerre mondiale puisque vous avez détruit notre pays. Vous, vous ne respectez pas le gouvernement démocratiquement élu à Varsovie. »

L'affaire non résolue des réparations de guerre

On ressort le spectre de l'Allemagne nazie comme à chaque fois qu'un désaccord apparaît avec Berlin. Ce fut vrai avec les Grecs ; l'Italie a flirté avec ce mauvais souvenir au printemps quand l'Allemagne rechignait à la solidarité. C'est maintenant la Pologne qui saute à pieds joints dans la mare aux souvenirs.

Le conflit des réparations de guerre entre l'Allemagne et la Pologne n'est pas éteint. Quatre-vingts ans après la guerre, Varsovie réclame toujours près de 850 milliards d'euros à Berlin, soit 100 milliards de plus que le plan de relance européen (750 milliards d'euros) ! La revendication est le plus sérieusement du monde portée par le Premier ministre polonais en personne, Mateusz Morawiecki, qui soulignait, en août 2019, que la Pologne avait perdu 6 millions de personnes au cours de la Seconde Guerre mondiale. « Beaucoup plus que d'autres États qui ont reçu d'importantes réparations. Ce n'est pas juste. Cela ne peut pas rester en l'état », concluait-il. La question des réparations de guerre avait été soldée, croyait-on, par un accord datant de 1953. Cependant, Mateusz Morawiecki ne reconnaît pas la portée de cet arrangement car il a été signé par la RDA et la Pologne communiste, deux pays dont l'engagement n'était pas libre au sein du Pacte de Varsovie. Tout serait donc à refaire.

Les Frugaux mettent la pression

Ce genre de question passe très largement au-dessus de la tête de Michael Roth, qui tente péniblement, à son petit niveau, de faire accoucher le plan de relance européen avant les calendes grecques. L'Allemagne est d'ailleurs prise entre le marteau du PiS et l'enclume des pays frugaux. Les Pays-Bas, l'Autriche, la Suède, la Finlande et le Danemark - qui sont aussi des payeurs nets - ne veulent plus rien laisser passer et insistent pour que les fonds européens puissent être suspendus si un État membre ne respecte plus les principes généraux de l'état de droit. La clause budgétaire sur l'état de droit doit être, à leurs yeux, extrêmement sévère. De l'autre côté, la Hongrie et la Pologne menacent de ne pouvoir ratifier le plan de relance si la clause budgétaire n'est pas strictement limitée à ce qui a été convenu au sommet européen de juillet : seul le bon usage des fonds doit être surveillé, l'état de droit n'ayant pas à être invoqué dans une affaire strictement budgétaire.

Forcément, quand la question est débattue au Parlement européen, la mesure diplomatique n'est plus de mise. La Pologne n'a pas non plus été ravie de la publication, la semaine précédente, du premier rapport sur l'état de droit dans les 27 pays de l'Union. Le rapport sur la Pologne souligne les préoccupations qu'ont fait naître les réformes sur la justice ou encore la confusion des rôles entre le ministre de la Justice et le parquet anticorruption. En outre, Michael Roth, dans son propos liminaire, a eu le malheur de faire allusion à la situation difficile de la communauté LGBTI en Pologne, où des zones - un tiers du territoire - se déclarent « free LGBTI ». Roth a plaidé pour l'égalité des droits de toute personne.

Là, c'est l'eurodéputé polonais Patryk Jaki, élu sur la liste européenne du PiS sans en être membre, qui s'est insurgé : « Vous attaquez la Pologne en faisant des références historiques, vous nous accusez d'être un pays autoritaire. Pourtant, lorsque la Pologne était attaquée par la Russie et l'Allemagne, vous étiez à leurs côtés. S'agissant de la lutte pour la liberté, vous avez abandonné la Pologne. Et donc, si vous reveniez quelques années en arrière, vous ne seriez pas si arrogants. Là maintenant, vous nous parlez de ces zones LGBTI, sachez que nous n'avons jamais discriminé les homosexuels. Vous êtes contre la Pologne, tout simplement parce que la situation économique y est bonne. Vous pourriez apprendre des choses de la part de la Pologne. » Le député Jaki a obtenu le renfort d'un collègue slovaque, Mial Uhrik, élu de Notre Slovaquie, parti nationaliste, homophobe, anti-UE, anti-Otan : « Vous voulez punir les Polonais, les Hongrois, les Slovaques, qui ne veulent pas recevoir de migrants tout simplement, qui ne veulent pas suivre un agenda LGBTI, obéir aveuglément aux ONG ou aux journalistes libéraux. En Slovaquie, en Europe centrale, nous avons de tels régimes, que vous qualifiez de totalitaires. Les gens deviennent de plus en plus pauvres et vous, vous bloquez le budget européen et le versement d'aides en imposant des mesures aussi idiotes ! »

Il reviendra au Parlement européen d'adopter une position sur la clause État de droit. La durcir, ce serait retarder un peu plus l'adoption d'un plan de relance dont l'économie européenne a grand besoin. Accepter une clause a minima, ce serait renier les principes et laisser le champ libre aux régimes autoritaires contre leur société civile. Chacun votera en conscience.

[Source: Par Emmanuel Berretta, Le Point, Paris, 07oct20]

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