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17oct12
La Russie et la récession mondiale qui vient
La Russie a retrouvé le chemin de la croissance. Après deux années où le taux de croissance a été supérieur à 4,5%, elle devrait réaliser entre 3,7% et 3,9% en 2012. Les performances macroéconomiques ont été bonnes, et le redémarrage de l'investissement soutenu. La consommation est restée forte, soutenue en particulier par les dépenses sociales mais avec également un accès au crédit des ménages qui a été favorisé par la politique de la Banque Centrale.
Le taux de chômage a ainsi reculé à un niveau historiquement bas (5,2% en août 2012). Ce retour à une forte croissance à ainsi permis à la Russie de retrouver une dynamique de développement qui la met en bonne position par rapport aux autres pays et qui contraste avec ce que l'on connaît au sein de l'OCDE, et au sein de la zone Euro. La question se pose néanmoins de savoir si un tel taux de croissance pourra être poursuivi dans le futur.
Le maintien de sorties importantes de capitaux et la dépendance importante des banques à la politique de la Banque Centrale pourraient être des facteurs limitant la croissance à l'avenir. Surtout, la question du modèle de croissance de la Russie reste toujours posée.
Avec la récession mondiale qui pourrait se développer dans un proche avenir, les exportations de matières premières auront du mal à progresser en 2013. Or, ces exportations restent capitales pour le pays dans la mesure où elles financent en partie l'investissement. Dans ces conditions un effort d'efficacité dans le domaine de l'investissement est plus que jamais nécessaire.
Quel usage pour les ressources naturelles?
La première question réside dans ce que l'on prétend être la « malédiction » des matières premières. Ce problème a été maintes fois évoqué, et la présence du « syndrome hollandais » dans l'économie russe est incontestable. Il se traduit par un mouvement de surévaluation du taux de change entraînant une perte progressive de compétitivité. Il impose la nécessité d'élaborer une politique cohérente visant à développer l'industrie pour contrecarrer la logique de désindustrialisation. Une des réponses possibles consiste à orienter les productions vers des techniques avancées afin de compenser une hausse du coût monétaire du travail.
L'extraction de ces matières premières exige désormais des investissements de plus en plus importants et faisant appel à des techniques de plus en plus avancées. Ceci est vrai dans le domaine de l'énergie (huile et gaz) mais aussi dans celui des autres matières minérales. L'exploitation de ces ressources devient une activité manufacturière à fort contenu technique, mais à la condition qu'une large partie des équipements nécessaires soit produits en Russie. Ceci impose alors une politique publique visant à inciter les firmes détentrices de ces techniques de production à venir s'installer en Russie ou à passer des accords de licence avec des industriels russes.
Cependant, ces activités, si elles sont largement intensives en capital, dégagent peu d'emploi. Leur contribution à la hausse générale du niveau technique de l'industrie russe peut être importante, mais elles ne constituent pas les principaux gisements d'emploi.
Il est aussi évident que les ressources financières des exportations sont indispensables pour la Russie. Ces ressources permettent à l'État de jouer un rôle actif dans le développement économique, soit directement soit indirectement. Les déficiences structurelles du système financier russe laissent à penser que l'on sera obligé de maintenir cette action pour une période encore relativement longue. Pour que l'extraction et l'exploitation des matières premières permettent le dégagement de la rente la plus forte, pour permettre un prélèvement étatique important, un effort de modernisation est nécessaire.
L'extraction et l'exploitation des matières premières seront certainement un des axes de la réindustrialisation de la Russie, mais elles ne sauraient constituer l'axe principal.
La reconquête du marché intérieur
Un deuxième problème est celui de la reconquête du marché intérieur, abandonné aux industriels occidentaux depuis 20 ans. Cela ne signifie pas vouloir entièrement satisfaire la consommation interne de la Russie par des produits russes, mais trouver un équilibre entre importations et productions nationales. En effet, on sait que la capacité à exporter se construit au départ dans une présence solide sur le marché national.
De ce point de vue, deux axes apparaissent comme prioritaires: la transformation des matières premières produites en Russie et les industries de consommation possédant un fort contenu technique.
La politique du gouvernement russe a déjà abouti au soutien de l'industrie automobile, en favorisant en particulier l'implantation de firmes étrangères en Russie (Audi, Ford, Renault mais aussi Nissan) afin de servir le marché russe, en pleine expansion. Le développement plus complet de la filière automobile, y compris avec l'installation des sous-traitants, devrait être la suite logique dans les années à venir. Mais, ici, se pose la question des règles de l'OMC, car cette politique a réussi grâce aux droits de douanes pénalisant les importations et incitant les constructeurs internationaux à venir s'installer en Russie.
Si un tel schéma doit être appliqué à d'autres industries, il est clair que les tarifs douaniers de la Russie devront évoluer en conséquence. Rappelons ici que le but de ces tarifs n'est pas de protéger des producteurs structurellement inefficients, mais de permettre des gains d'efficience soit par la modernisation de producteurs locaux soit par l'installation en Russie de producteurs étrangers.
La revalorisation des salaires et le développement d'une classe moyenne
La troisième question est celle de la revalorisation des salaires dans l'industrie, qui seul peut contribuer à l'émergence d'une classe moyenne robuste. La stabilité de la demande des ménages est une des conditions nécessaires au développement d'une industrie puissante. Ceci implique que le revenu monétaire soit en partie garanti contre les aléas de la conjoncture, et que se développent les différentes prestations sociales qui permettent aux ménages de se garantir contre les trois grands risques que sont le chômage, la maladie (et l'invalidité) et la vieillesse. Cette stabilisation du revenu des ménages constitue par ailleurs l'une des principales garanties pour le développement d'un système bancaire robuste. Des progrès importants ont été faits dans ces domaines. Mais des développements ultérieurs ne pourront avoir lieu qu'en lien avec les hausses de la productivité.
Pour que le mouvement de ces dernières années se maintienne, il est important d'assurer un flux d'investissements important.
Ceci pose la question du système financier russe qui devrait alors s'acquitter de trois tâches distinctes : assurer les moyens du financement des grandes infrastructures publiques nécessaires au cotexte de développement d'activité hautement productives, assurer le développement de filières productives par des flux réguliers de financement, assurer enfin l'émergence et le développement d'une population de petites entreprises innovantes ainsi que les conditions de leur développement futur.
On peut s'interroger sur la capacité d'un système unifié à remplir ces trois rôles qui sont en réalité très différents. La politique du gouvernement devrait alors viser à assurer la cohérence entre des systèmes spécifiques, allant de grandes banques dont certaines seront certainement publiques à des fonds d'investissement et de capital-risque.
Pour faire face à la « grande tempête » économique mondiale qui menace, la Russie doit impérativement se poser la question de son modèle de développement et se donner les moyens de son évolution et de sa stabilisation.
[Source: Par Jacques Sapir, Ria Novosti, Moscou, 17oct12 Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU)]
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