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14ene13
De Bâle à Tokyo, une zone Euro à la dérive
Deux nouvelles d'une inégale importance, sont venues troubler la sérénité des marchés et des opérateurs financiers dans la Zone Euro.La première fut l'annonce, par les membres du Comité bancaire de Bâle, d'un assouplissement important des règles du futur accord dit « Bâle-III » et qui devait entrer prochainement en vigueur. La seconde a été la forte dépréciation du Yen japonais, avec l'indication que ce mouvement allait probablement se poursuivre dans les semaines à venir.
La première nouvelle fait certes plaisir aux banquiers, mais elle soulève un tollé d'indignation par ailleurs. Elle n'est rien de moins qu'une capitulation en rase campagne devant les demandes des banques. L'accord dit « Bâle-III » prévoyait un contrôle des bilans bancaires et une forte hausse des provisions par les établissements bancaires pour faire face à des problèmes potentiels. L'impact de ces mesures sur les profits bancaires était important, et c'est pourquoi les banques contestaient de manière véhémente cet accord.
La situation actuelle leur a offert sur un plateau d'argent un argument décisif. Elles ont indiqué qu'une hausse de leurs provisions ne pourrait qu'aggraver le mouvement de contraction du crédit que l'on connaît depuis dix-huit mois. Car, et c'est là l'un des paradoxes de la situation actuelle, si les taux de refinancement offerts par les Banques Centrales sont bas, si la liquidité est abondante en réalité, les clients privés des banques, les ménages comme les entreprises, sont quant à eux confrontés à des politiques très restrictives. Ainsi en est-il, par exemple, du crédit à l'immobilier.
Les taux d'intérêt sont techniquement bas. Mais, les banques multiplient les garanties qu'elles exigent de leurs clients. Le résultat est que l'on a de manière simultanée une baisse des taux et une baisse de l'encours des crédits. Le même phénomène touche les entreprises et les banques font désormais des difficultés non seulement pour des crédits à relativement long terme mais aussi pour le crédit à trois ou six mois, soit le crédit qui assure la liquidité immédiate de l'entreprise.
Les gouvernements, et les dirigeants des principales Banques Centrales, se sont émus d'une situation qui contribue à la récession dans laquelle est plongée la zone Euro. Mais, au lieu d'offrir aux banques une mesure temporaire d'allègement des contraintes, les dirigeants du Comité de Bâle ont capitulé devant le groupe de pression bancaire, qu'il s'agisse des mesures de surveillance du bilan ou des niveaux de provision.
Autrement dit, face à un problème conjoncturel on a sacrifié le principe structurel d'un contrôle sur les activités bancaires, qui pourront se développer comme avant 2007, du moins en Europe. Cela signifie que la spéculation ne sera pas contrôlée et que nous connaîtrons, encore et encore, des crises financières dans le cours desquelles on demandera au contribuable de mettre la main à la poche pour « sauver les banques ».
En fait, le démantèlement acté des accords dits de « Bâle-III » souligne l'absence de volonté politique dans le cours de la crise de la zone Euro. En dépit de tous les beaux discours, on constate que la situation des banques européennes reste fortement détériorée, que ce soit par l'accumulation de mauvaises dettes privées ou par celles de mauvaises dettes publiques, en provenance de Grèce, du Portugal, de l'Irlande et de l'Espagne.
À cet égard, on peut s'interroger sur ce qu'apportera l'accord sur une Union Bancaire. Cette dernière ne rentrera en vigueur qu'au premier trimestre 2014, et ne concernera que 200 banques au total. On est loin du compte, loin de ce qu'il aurait été nécessaire.
Le marché des capitaux, ce grand progrès qu'était censé apporter l'Euro ne fonctionne plus. Nous sommes revenus à une situation de segmentation nationale sur le marché des dettes, qui est même pire que celle qui existait avant 1999. Enfin, la montée du chômage et l'ampleur de la récession dans la zone Euro contribuent à fragiliser l'ensemble de la zone.
La faiblesse dont ont fait preuves tant les gouvernements que les Banques Centrales face aux banques privées est un révélateur puissant de l'état de crise dans lequel la zone Euro est plongée, n'en déplaise à M. François Hollande et à ses déclarations lénifiantes.
La seconde nouvelle concerne le taux de change du Yen. L'économie japonaise, qui reste le troisième acteur mondial, connaît aujourd'hui des difficultés. Le nouveau gouvernement japonais a identifié un taux de change surévalué comme causes d'une partie de ces difficultés, et il a entrepris de faire baisser d'environ 20% celui-ci. Le Yen s'est déjà dévalué de plus de 5% en un mois, et il est clair qu'il va continuer.
La zone Euro est, là aussi, directement concernée. D'une part, il est clair qu'une baisse de 20% de la valeur de la monnaie japonaise va infliger aux économies de la zone un choc important de compétitivité. Mais, d'autre part, le débat sur la valeur du Yen a largement contourné la zone euro. Les États-Unis se sont émus, ce qui est logique et normal. Mais l'Europe, qui est un marché important pour les entreprises japonaises, n'a pas eu son mot à dire.
Ceci met en évidence, à nouveau, un problème structurel de l'Euro. Rappelons nous que, lors de sa création, les dirigeants européens avaient affirmé - un peu vite semble-t-il - que l'Euro donnerait plus de poids aux pays en faisant partie et que l'Euro développerait leur compétitivité. Or, c'est très exactement le contraire qui se produit. Sur la question du taux de change, les institutions de la zone Euro sont parfaitement silencieuses, et leur silence va se traduire par un nouveau choc de compétitivité, alors que la zone est, dans son ensemble, en récession.
L'Euro est donc incapable de doter les pays qui l'ont adopté d'une politique commune face aux grands compétiteurs internationaux. Et la raison en est simple : l'obstination de la Banque Centrale Européenne à « défendre » la valeur de l'Euro.
Ces deux événements soulignent à la fois la situation dramatique en réalité de l'Euro aujourd'hui, mais aussi les problèmes structurels de la zone Euro. Comme nous sommes au milieu de ce qu'il est convenu d'appeler la « trêve des confiseurs», les réactions ont été pour l'instant limitées. Mais, dès que l'activité reprendre sur les marchés financiers, il faudra s'attendre à ce que certains opérateurs tirent les conséquences de cette situation et agissent en conséquence.
[Source: De Jacques Sapir, Ria Novosti, Moscou, 14ene13. Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU)]
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