2. Préservation des archives liées aux violations des droits de
l'homme
B. Le droit à la justice
1. Le droit à un recours équitable et efficace
2. Mesures restrictives justifiées para la lutte contre l'impunité
C. Le droit à réparation
D. Garanties de non-renouvellement des violations
II. PROPOSITIONS ET RECOMMANDATIONS
CONCLUSION
POSTFACE
Annexes
I. Présentation synoptique de l'Ensemble de principes pour la
protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre
l'impunité
II. Ensemble de principes pour la protection et la promotion des
droits de l'homme para la lutte contre l'impunité
Introduction.
A. Genèse de la lutte contre l'impunité
1. A sa quarante-troisième session (août 1991), la Sous-Commission a demandé à l'auteur du
présent rapport d'entreprendre une étude sur la question de l'impunité des auteurs de violations des
droits de l'homme. Au fil des ans, l'étude a permis de constater que l'on peut ramener à quatre les
étapes qui ont jalonné l'évolution de la prise de conscience, par la communauté internationale, des
impératifs de la lutte contre l'impunité.
Première étape
2. Au cours des années 70, les organisations non gouvernementales, les défenseurs des droits de
l'homme et les juristes ainsi que, dans certains pays, l'opposition démocratique -lorsqu'elle peut
s'exprimer- se mobilisent en faveur de l'amnistie pour des prisonniers politiques. Cette évolution est
caractéristique des pays d'Amérique latine alors soumis à des régimes dictatoriaux. Parmi les
pionniers, on citera les Comités pour l'amnistie nés au Brésil, le Secrétariat international de juristes
pour l'amnistie en Uruguay (SIJAU) et le Secrétariat pour l'amnistie et la démocratie au Paraguay
(SIJADEP). L'amnistie, en tant que symbole de liberté, se révélera être un thème mobilisateur de
larges secteurs de l'opinion, ce qui facilitera progressivement l'unification des multiples initiatives de
résistance pacifique ou de lutte contre les régimes dictatoriaux de l'époque.
Deuxième étape
3. Ce fut celle des années 80. L'amnistie, symbole de liberté, apparaît de plus en plus comme une
sorte de "prime à l'impunité" avec l'émergence, puis la prolifération de lois d'auto-amnistie,
autoproclamées par des dictatures militaires en déclin, soucieuses d'organiser leur impunité, pendant
qu'il est encore temps. Ces dérives provoquent de vives réactions de la part des victimes qui
renforcent leur capacité à s'organiser pour que "passe la justice" ainsi qu'en atteste, en Amérique
latine, l'essor pris par le mouvement des Mères de la place de Mai, puis par la Fédération latino-américaine des associations de familles de détenus-disparus (FEDEFAM) dont le rayonnement
devait s'étendre par la suite aux autres continents.
Troisième étape
4. Avec la fin de la guerre froide que symbolise la chute du mur de Berlin, s'amorcent, jalonnant
cette période, de nombreux processus de démocratisation ou de retour a la démocratie, ou encore des
accords de paix venant mettre un terme à des conflits armés internes. Qu'il s'agisse de dialogue
national ou de négociations de paix, la question de l'impunité est au centre du débat entre deux
parties à la recherche d'un introuvable équilibre entre la logique de l'oubli qui anime l'ancien
oppresseur et la logique de justice à laquelle en appelle la victime.
Quatrième étape.
5. Elle marque la prise de conscience par la communauté lnternationale de l'importance que revêt la
lutte contre l'impunité. La Cour interaméricaine des droits de l'homme, par exemple, considère par
une jurisprudence novatrice que l'amnistie des auteurs de violations graves des droits de l'homme est
incompatible avec le droit qu'a toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement par un
tribunal impartial et indépendant. La Conférence mondiale des droits de l'homme (juin 1993) est
venùe encourager cette évolution dans son document final intitulé "Déclaration et Programme
d'action de Vienne" (A/CONF.157/23, par. 9l de la Partie II).
6. Le présent rapport s'inscrit donc dans la mise en oeuvre du Programme d'action de Vienne et
recommande, dans ce but, l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies d'un ensemble de
principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité".
B. Historique de l'étude.
7. Pour une meilleure compréhension de la phase finale de l'étude, il convient de resituer le présent
rapport dans le cadre des travaux de la Sous-Commission.
8. Trente-huitième session (août 1985). Présentation par M. Louis Joinet, en qualité de Rapporteur
spécial sur l'amnistie, d'un rapport final intitulé "Etude sur la legislation d'amnistie et sur son rôle
dans la protectlon et la promotion des droits de l'homme" (E/CN.4/Sub.2/1985/16/Rev.1). Le
chapitre III de cette étude a en partie inspiré le présent rapport.
9. Quarante-troisième session (août 1991). Par sa décision 1991/110, la Sous-Commission
demande à deux de ses membres, M. El Hadji Guissé et M. Louis Joinet, d'élaborer un document de
travail sur les orientations qui pourraient être données à une étude sur l'impunité.
10. Quarante-quatrième session (août 1992). Après présentation du document de travail
(E/CN.4/Sub.2/1992/18), la Sous-Commission décide, par sa résolution 1992/23, de confier aux
coauteurs la rédaction d'un rapport intitulé "Etude sur l'impunité des auteurs de violations des droits
de l'homme". La Commission des droits de l'homme (résolution 1993/43), puis le Conseil
économique et social (décision 1993/266) approuvent cette initiative.
11. Quarante-cinquième session (août 1993). Après présentation du rapport préliminaire - et non
"intérimaire" comme il avait été indiqué par erreur -(E/CN.4/Sub.2/1993/6), la Sous-Commission
demande aux corapporteurs d'étendre l'étude aux violations graves des droits économiques, sociaux
et culturels.
12. Quarante-sixième session (août 1994). Après avoir accueilli avec satisfaction le rapport
préliminaire succinct sur l'impunité des auteurs des violations des droits économiques, sociaux et
culturels (E/CN.4/Sub.2/1994/11 et Corr.l), la Sous-Commission décide (résolution 1994/34) de
scinder en deux l'étude, en confiant à M. Louis Joinet le volet consacré aux violations des droits
civils et politiques et à M. El Hadji Guissé celui qui concerne les droits économiques, sociaux et
culturels.
13. Quarante-sentième session (août 1995). Par sa résolution 1995/35, la Sous-Commission
examine avec appréciation le rapport intérimaire de M. Louis Joinet (E/CN.4/Sub.2/1995/18) qui
présente la synthèse des observations recueillies sur certaines questions de principe; elle demande au
Rapporteur spécial de lui présenter son rapport final à sa quarante-huitième session, en août 1996.
14. Quarante-huitième session (août 96). Faute de temps pour procéder à l'examen du rapport; la
Sous-Commission a demandé au Rapporteur (décision 1996/119) de poursuivre ses consultations
en vue de lui présenter, à sa quarante-neuvième session, une version finale revue et augmentée
comportant une version révisée de l'ensemble de principes pour la protection et la promotion des
droits de l'homme par la lutte contre l'impunité.
15. Quarante-neuvième session (août 1997). C'est en application de cette décision que le présent
rapport final est soumis à la Sous-Commission à la présente session et, compte tenu des observations
et commentaires, pourra être transmis à la Commission des droits de l'homme pour considération
dans sa version révisée.
I. ECONOMIE GENERALE DE L'ENSEMBLE DE
PRINCIPES.
16. Les trois sections qui suivent résument l'économie générale du projet d'ensemble de principes
précités et son fondement par référence aux droits des victimes considérées comme sujets de droit :
- a) Le droit de savoir de la victime;
- b) Le droit de la victime à la justice; et
- c) Le droit à réparation de la victime.
A ces droits s'ajoutent, à titre préventif, une série de mesures destinées à garantir le non-renouvellement des violations.
A. Le droit de savoir
17. Il ne s'agit pas seulement du droit individuel qu'a toute victime, ou ses proches, de savoir ce qui
s'est passé en tant que droit à la vérité. Le droit de savoir est aussi un droit collectif qui trouve son
origine dans l'histoire pour éviter qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent. I1 a pour
contrepartie, à la charge de l'Etat, le "devoir de mémoire" afin de se prémunir contre ces
détournements de l'histoire qui ont pour nom révisionnisme et négationnisme; en effet, la
connaissance, par un peuple, de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine et comme
telle doit être préservée. Telles sont les finalités principales du droit de savoir en tant que droit
collectif.
18. Deux séries de mesures sont proposées à cet effet. La première concerne la mise en place, en
principe à bref délai, de commissions non judiciaires d'enquete car - sauf à rendre une justice
sommaire, et ce fut trop souvent le cas dans l'histoire - les tribunaux ne peuvent sanctionner
rapidement les bourreaux et leurs commanditaires. La deuxième série de mesures vise à préserver les
archives liées aux violations des droits de l'homme.
1. Les commissions non iudiciaire d'enquête.
19. Le but recherché en priorité est double : d'une part, démonter les mécanismés qui ont abouti à la
pratique quasi administrative de actes aberrants, pour en éviter le retour; d'autre part, préserver les
preuves pour la justice, mais aussi pour établir que ce qui était dénoncé comme mensonger; par les
oppresseurs afin de discréditer les défenseurs des droits de l'homme était bien souvent en deçà de la
vérité; on pourra ainsi rétablir ces défenseurs dans leur dignité.
20. L'expérience enseigne qu'il convient de veiller à ce que ces commissions ne soient pas détournées
de leur finalité pour devenir prétexte à ne pas saisir les tribunaux. D'où l'idée de proposer des
principes de base, inspirés de l'analyse comparée de l'expérience des commissions existantes ou
ayant existé, principes en deçà desquels la crédibilité de telles commissions serait atteinte. Ces
principes concernent quatre grands aspects analysés ci-dessous.
a) Garantie d'indépendance et d'impartialité.
21. Les commissions non judiciaires d'enquete doivent être créées par la loi. Elles peuvent l'être par
un acte réglementaire ou par un acte conventionnel dans le contexte d'un processus de rétablissement
de la démocratie et/ou de la paix ou de transition vers celles-ci. Leurs membres doivent être
inamovibles pendant la durée de leur mandat et être protégés par une immunité. Si nécessaire, une
commission doit avoir la possibilité de requérir l'assistance de la police, de faire procéder à des
comparutions, et de visiter les lieux concernés par les investigations. Le pluralisme d'opinion des
membres d'une commission est également un important facteur d'indépendance. Il doit être enfin
clairement précisé dans les statuts que les commissions n'ont pas vocation à se substituer à la justice,
mais tout au plus à contribuer à la sauvegarde de la mémoire et des preuves. Leur crédibilité doit
étre également assurée par des moyens financiers et en personnel suffisants.
b) Garantie en faveur des témoins et victimes.
22. Le témoignage des victimes et des témoins déposant en leur faveur ne peut être sollicité que sur
la base du volontariat. A des fins de protection, l'anonymat peut étre admis sous les réserves
suivantes: étre exceptionnel (sauf en cas d'abus sexuels); le Président et un membre de la
commission doivent étre habilités à s'assurer du bien-fondé de la demande d'anonymat et,
confidentiellement, de l'identité du témoin; enfin, il doit étre fait mention du contenu du témoignage
dans le rapport. Témoins et victimes doivent pouvoir bénéficier, dans le cadre de leur déposition,
d'une assistance psychologique et sociale, spécialement lorsqu'ils ont été victimes de tortures et
d'abus sexuels. Ils doivent enfin étre remboursés des dépenses liées à leur témoignage.
c) Garanties concernant les sersonnes mises en cause.
23. Si la commission est habilitée à divulguer leur nom, les personnes mises en cause doivent, soit
avoir été entendues ou, à tout le moins, convoquées à cet effet, soit être en mesure d'exercer, par
écrit, un droit de réponse, la réponse étant ensuite versée au dossier.
d) Publicité à donner au rapport.
24. Si la confidentialité des travaux peut être-justifiée, pour-éviter notamment les pressions sur les
témoins ou pour assurer leur sécurité, le rapport doit en revanche être publié et faire l'objet de la plus
grande diffusion possible. Les membres de la commission doivent bénéficier d'une immunité à
ltégard de poursuites en diffamation.
2. Préservation des archives liées aux violations des droits de
l'homme.
25. Spécialement, lors d'un processus de transition, le droit de savoir implique que soient préservées
les archives. Les mesures prises à cet effet porteront sur les points suivants :
- a) Mesures de protection et de répression contre la soustraction, la destruction et le détournement;
- b) Etablissement d'un inventaire des archives disponibles, y compris de celles qui sont détenues
par des pays tiers afin qu'avec la coopération de ces derniers, elles puissent être communiquées et,
le cas échéant, restituées;
- c ) Adaptation à la situation nouvel le de la réglementation concernant l'accès d ces archives et
leur consultation, notamment en donnant à toute personne qu'elles mettent en cause la possibilité
de verser au dossier un droit de réponse.
B. Le droit à la justice.
l. Le droit à un recours équitable et efficace
26. Il implique que toute victime ait la possibilité de faire valoir ses droits en bénéficiant d'un
recours équitable et efficace, notamment pour obtenir que soit jugé son oppresseur et obtenir
réparation. Ainsi que le souligne le préambule de l'Ensemble de principes, il n'est pas de
réconciliation juste et durable sans que soit apportée une réponse effective au besoin de justice; le
pardon, acte privé, suppose en tant que facteur de réconciliation que soit connu de la victime l'auteur
des violations et que ce dernier ait été en mesure de manifester son repentir en effet, pour que le
pardon puisse être accordé, il faut qu'il ait été demandé.
27. Le droit à la justice confère à l'Etat des obligations : celle d'enquêter sur les violations, d'en
poursuivre les auteurs et, si leur culpabilité est établie, de les faire sanctionner. Si l'initiative des
poursuites relève en premier lieu de l'Etat, des règles complémentaires de procédure doivent prévoir
que toute victime peut être partie civile aux poursuites et, en cas de carence des pouvoirs publics,
d'en prendre elle-même l'initiative.
28. La compétence des tribunaux nationaux devrait - pour des raisons de principe - demeurer la
règle, car toute solution durable implique qu'elle vienne de la nation elle-méme. Mais il arrive trop
souvent, hélas, que les tribunaux nationaux ne soient pas encore en mesure de rendre une justice
impartiale ou soient dans l'impossibilité matérielle de fonctionner. Se pose alors la difficile quèstion
de la compétence d'un tribunal international : doit-il s'agir d'un tribunal ad hoc; du type de ceux qui
ont été créés pour les violations commises en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, ou bien d'un tribunal
international permanent comme celui qui est actuellement en projet devant l'Assemblée générale des
Nations Unies? Quelle que soit finalement la solution adoptée, les règles de procédure doivent
répondre aux critéres du droit à un procès équitable. On ne peut juger celui qui a commis des
violations en ne respectant pas soi-méme les droits de l'homme.
29. Enfin, les traités internationaux de droits de l'homme devraient comporter une clause de
"compétence universelle", obligeant chaque Etat partie, soit à juger soit à extrader l'auteur de
violations. Encore faut-il qu'il y ait la volonté politique d'appliquer de telles clauses. On constate,
par exemple, que celles qui existent dans les Conventions de Genève de 1949 relatives au droit
humanitaire ou dans la Convention des Nations Unies contre la torture n'ont quasiment jamais été
appliquées.
2. Mesures restrictives justifiées par la lutte contre l'impunité.
30. Des mesures restrictives peuvent être apportées à certaines règles de droit afin d'améliorer la
lutte contre l'impunité. Le but est d'éviter que ces règles ne soient utilisées de telle manière qu'elles
ne deviennent une prime à l'impunité, entravant ainsi le cours de la justice.
a) La prescription
31. La prescription ne peut être opposée aux crimes graves selon le droit international tels que les
crimes contre l'humanité. A l'égard de toutes violations, elle ne peut courir pendant la période où il
n'existe pas de recours efficace. De même, la prescription n'est pas opposable aux actions civiles,
administratives ou disciplinaires exercées par les victimes.
b) L'amnistie
32. L'amnistie ne peut être accordée aux auteurs de violations tant que les victimes n'ont pas obtenu
justice par une voie de recours efficace. Elle est juridiquement sans effet sur les actions des victimes
liées au droit à réparation.
c) Le droit d'asile
33. Pas plus que le statut de réfugié politique, l'asile territorial ou diplomatique ne peut être accordé.
d) L'extradition
34. Le caractère politique de l'infraction n'est pas opposable pour éviter l'extradition, non plus que le
principe de non-extradition des nationaux.
e) La procédure in abstentia
A l'inverse de la plupart des pays de droit romain, les pays de droit anglo-saxon ne reconnaissent
pas, dans leur système juridique, la procédure in abstentia. Cette lacune constitue une importante
prime à l'impunité, spécialement lorsque les pays concernés refusent de coopérer avec la justice
{exemple du Tribunal pénal international de La Haye). A titre de compromis, ne pourrait-on
admettre la procédure in abstentia qu'après avoir juridiquement constaté un tel refus de coopération?
Sinon, sa non-reconnaissance devrait être limitée à la seule phase du jugement.
f) L'obéissance due
36. L'obéissance due ne peut exonérer l'exécutant de sa responsabilité pénale; tout au plus peut-elle
être prise en considération comme circonstance atténuante. De même, le fait que les violations aient
été commises par un subordonné ne peut exonérer ses supérieurs s'ils se sont abstenus de faire usage
des pouvoirs dont ils étaient investis pour empêcher la violation ou la faire cesser dès lors qu'ils
savaient -ou étaient en position de savoir- que la violation était en train de se commettre ou allait
étre commise.
g) Les lois sur le repentir
37. Lorsque, dans le cadre d'un processus de rétablissement de la démocratie ou de transition vers
celle-ci, des lois sur le repentir sont adoptées, elles peuvent être une cause d'atténuation de la
preuve, mais ne doivent pas exonérer totalement les auteurs; une distinction doit être faite, en raison
des risques encourus ou non par l'auteur, selon qu'il fait des révélations pendant la période où se
commettaient les violations graves ou après cette période.
h) Les tribunaux militaires
38. En raison de l'insuffisante indépendance statutaire des tribunaux militaires, leur compétence doit
être limitée aux seules infractions spécifiquement militaires commises par des militaires, à
l'exclusion des violations des droits de l'homme qui doivent relever de la compétence des tribunaux
ordinaires.
i) Principes de l'inamovibilité des juges
39. Essentielle en tant que garantie de l'indépendance des Juges, l'inamovibilité ne doit pas devenir,
là encore, une prime à l'impunité. Les magistrats qui ont été nommés en conformité avec l'état de
droit antérieur peuvent être confirmés dans leurs fonctions. En revanche, ceux qui ont été nommés
de manière illégitime peuvent être destitués en application du principe du parallélisme des formes à
condition de bénéficier de garanties appropriées.
C. Le droit à réparation.
40. Le droit à réparation comporte tant des mesures individuelles que des mesures de portée générale
et collective.
41. Au plan individuel, les victimes, qu'il s'agisse de victimes directes ou de parents ou personnes à
charge, doivent bénéficier d'un recours efficace. Les procédures applicables doivent faire l'objet de
la publicité la plus large possible. Le droit à réparation doit couvrir l'intégralité des préjudices subis
par la victime. Conformément à l'Ensemble de principes et directives fondamentaux concernant le
droit à réparation des victimes des violations flagrantes des droits de l'homme et du droit
humanitaire établi par M. Theo van Boven, Rapporteur spécial de la Sous-Commission
(E/CN.4/Sub.2/1996/17), ce droit comporte les trois types de mesures suivantes:
- a) Des mesures de restitution (tendant à ce que la victime se retrouve dans la situation qui
prévalait auparavant);
- b) Des mesures d'indemnisation (préjudice physique et moral, ainsi que perte d'une chance,
dommages matériels, atteintes à la réputation et frais d'assistance juridique); et
- c) Des mesures de réadaptation (suivis médicaux y compris psychologiques et psychiatriques).
42. Au plan collectif, des mesures de portée symbolique, à titre de réparation morale, telles que la
reconnaissance publique et solennelle par l'Etat de sa responsabilité, les déclarations officielles
rétablissant les victimes dans leur dignité, les cérémonies commémoratives, les dénominatlons de
voies publiques, les érections de monuments, permettent de mieux assumer le devoir de mémoire. En
France, par exemple, il aura fallu attendre plus de 50 ans pour que le chef de l'Etat reconnaisse
solennellement, en 1996, la responsabilité de l'Etat français dans les crimes contre les droits de
l'homme commis par le régime de Vichy entre 1940 et 1944. On citera également les déclarations de
même nature faites par le Président Cardoso en ce qui concerne les violations commises au Brésil
sous la dictature militaire. On soulignera surrout l'initiative du Gouvernement espagnol qui vient de
reconnaître la qualité d'anciens combattants aux antifascistes et brigadistes qui, durant la guerre
civile, se sont battus dans le camp républicain.
D. Garanties de non-renouvellement des violations.
43. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, trois mesures s'imposent pour éviter que les
victimes ne soient à nouveau confrontées à des violations portant atteinte à leur dignité :
- a) Dissolution des groupements armés para-étatiques: il s'agit de l'une des mesures les plus
difficiles à appliquer car, si elle n'est pas accompagnée de mesures de réinsertion, le remède
risque d'être pire que le mal;
- b) Abrogation de toutes les lois et juridictions d'exception et reconnaissance du caractère
intangible ou non dérogeable de l'habeas corpus; et
- c) Mise à 1'écart des hauts fonctionnaires impliqués dans les violations graves qui ont été
commises. I1 doit s'agir de mesures administratives et non répressives car préventives et le
fonctionnaire doit pouvoir bénéficier de garanties.
II. PROPOSITIONS ET RECOMMANDATIONS.
44. Avant; même que les Nations Unies ne prennent des initiatives dans le domaine de la lutte contre
l'impunité, les organisations non gouvernementales, nous l'avons vu, ont joué un rôle de pionnier et
ont commencé à tracer les axes d'une stratégie pour l'action. Parmi ces nombreuses initiatives, on
citera celles qui ont tout particulièrement contribué à la réflexion du Rapporteur:
- a) Les travaux des tribunaux d'opinion, spécialement le Tribunal Russel devenu le Tribunal
permanent des peuples qui, en l'absence d'une juridiction internationale toujours à l'étude aux
Nations Unies depuis 1946, est venu combler un vide institutionnel face à la montée de
l'impunité (voir Louis Joinet, "Les tribunaux d'opinion" in Marxisme, democratie et droit des
peuples. Hommage à Lelio Basso, Milan, Editions Franco Angelis, 1979, p. 821).
- b) Les "Rencontres internationales sur l'impunité des auteurs de violations graves des droits de
l'homme" organisées au Palais des Nations, à Genève, par la Commission internationale de
juristes (CIJ) et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH - France)
du 2 au 5 novembre 1992 (les actes de ces Rencontres ont été publiés par la CIJ sous le titre
"Non à l'impunité, oui à la justice", Genève, 1993).
- c) Le rapport de M. Theo van Boven sur "Le droit à restitution, à indemnisation et à
réadaptation des victimes des violations flagrantes des droits de l'homme et des libertés
fondamentales" (E/CN.4/Sub.2/1993/8).
- d) Le Séminaire international sur "L'impunité et ses effets sur les proces sus de
démocratisation" organisé à Santiago du Chili du 13 au 15 décembre 1996 par les organisations
non gouvernementales chiliennes Comité de defensa del pueblo (CODEPU), Fundacion de ayuda
social de iglesias cristianas (FASIC), Servicio Paz y Justicia (SERPAJ-Chili).
[http://www.derechos.org/koaga/iii/3/index.html]
45. Ces travaux ont montré que les organisations non gouvernementales ressentent de plus en plus le
besoin d'appuyer leur combat sur des normes de référence, inspirées de l'expérience et reconnues par
la communauté internationale. C'est une des raisons qui amènent le Rapporteur à proposer
l'adoption de laensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la
lutte contre l'impunité. Mais cet ensemble de principes est aussi destiné, d'une part aux Etats -trop
peu nombreux- qui manifestent la volonté politique de réduire l'impunité, d'autre part aux
partenaires des "dialogues" nationaux ou des "négociations d'accords de paix" qui, tous, sont
confrontés à ce problème.
46. Tel est le contexte et l'esprit dans lesquels le Rapporteur spécial fait les deux propositions
suivantes:
- 1. Recommander à la Sous-Commission de demander à la Commission des droits de l'homme,
puis au Conseil économique et social de proposer à l'Assemblée générale d'adopter l'ensemble de
principes comme cadre général d'une stratégie pour la lutte contre l'impunité, mais aussi, d'un
point de vue plus technique, comme instrument d'aide à la décision pour les négociateurs
d'accords de paix ainsi que pour les gouvernements qui envisagent de prendre des mesures en
vue de lutter contre l'impunité.
- 2. Recommander à la Sous-Commission, conformément au voeu exprimé tant par l'Assemblée
générale à sa cinquante et unième session que jar la Commission des droits de l'homme dans sa
résolution 1996/42, d'apporter sa contribution à la commémoration du cinquantième anniversaire
de la Déclaration universelle des droits de l'homme sous la forme suivante. Dans sa résolution
précitée, la Commission des droits de l'homme a demandé au Haut Commissaire aux droits de
l'homme de coordonner les préparatifs de cette commémoration en ayant notamment présentes à
l'esprit les suites à donner à la Déclaration et au Programme d'action de Vienne
(A/CONF.157/23) dont le paragraphe 91 de la Partie II concerne la lutte contre l'impunité. Dans
son document du 8 avril 1997 intitulé "1998. Fiftieth Anniversary of the Universal Declaration
of Human Rights" [http://www.ch/html/50th/50anniv.htm), le Haut Commissaire a lancé un
appel pour que lui soient adressées des suggestions et propositions concrètes à ce sujet. Lors d'une
réunion de concertation qui s'est tenue au Palais des Nations le 13 décembre 1996 pour la
préparation de cette commémoration, le Haut Commissaire a en outre précisé que cet événement
ne devait pas seulement étre un moment de célébrat ion , mai s aus si un moment marqué par des
actions concrètes destinées à renforcer toujours plus les droits de l'homme pour tous. Afin
d'associer célébration et action concrète, il est proposé de recommander au Haut Commissaire
pour les droits de l'homme, dans le cadre de la mise en oeuvre de la Déclaration et du Programme
d'action de Vienne, de prendre les initiatives appropriées pour qu'à l'occasion de la
commémoration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de
l'homme, le 10 décembre, Journée des droits de l'homme, soit désormais intitulée "Journée
mondiale des droits de l'homme et de la lutte contre l'impunité".
47. Ainsi que cela avait été demandé par la Sous-Commission dans sa décision 1996/119, on
trouvera en annexe au présent rapport final le texte du projet d'ensemble de principes qui a été révisé
en tenant compte des commentaires recueillis. L'annexe I est une présentation synoptique qui est en
fait le sommaire de l'ensemble de principes dont le texte complet figure à l'annexe II.
CONCLUSION.
48. En terminant, le Rapporteur spécial aimerait appeler l'attention sur certaines situations
particulièrement préoccupantes et pour lesquelles il doit avouer son impuissance à proposer des
solutions, alors que de telles situations contribuent -bien que pour des raisons en grande partie
techniques- à la persistance de l'impunité. Comment, en effet, lutter contre l'impunité, et donc assurer
le droit à la.justice de la victime, lorsque le nombre des personnesa emprisonnées pour suspicion de
violations graves des droits de l'homme ést tel qu'il est techniquement impossible de les juger selon
un procès équitable et dans un délai raisonnable. Faut-il citer le cas du Rwanda ou, selon le
Rapporteur spécial, M. René Degni-Segui (rapport E/CN.4/1997/61, par. 69), plus de 90.000
personnes sur lesquelles pèsent, pour la plupart, des charges de génocide sont emprisonnées alors
que la justice, en grande partie déstabilisée par les événements, n'est pas encore en mesure de faire
face avec une suffisante efficacité à cette situation ? Il est par ailleurs vain d'imaginer que la solution
puisse passer par la voie d'un tribunal pénal international. Ces juridictions, par leur nature même, ne
peuvent juger annuellement qu'un nombre réduit de personnes, d'où l'importance, dans les
poursuites, de fixer des priorités et de juger tout d'abord, à chaque fois que cela est possible, les
responsables des crimes, selon le droit international, qui étaient en fonctions au sommet de la
hiérarchie.
POSTFACE
49. A ceux qui seraient tentés de considérer que l'ensemble de principes ici proposé pourrait
constituer une entrave à la réconciliation nationale, je répondrai ceci : ces principes ne constituent
pas des normes juridiques stricto sensu mais des principes directeurs destinés non à tenir en échec la
réconciliation, mais à endiguer les dérives de certaines politiques de réconciliation afin que, passée
la première étape, faite de "conciliations" plutôt que de "réconciliation", l'on puisse construire le
socle d'une "réconciliation juste et durable".
50. Pour pouvoir tourner la page, encore faut-il l'avoir lue! Mais la lutte contre l'impunité n'est pas
qu'une question juridique et politique; sa dimension éthique n'est-elle pas trop souvent oubliée?
51. "Des origines de l'humanité à l'époque contemporaine, l'histoire de l'impunité est celle d'un
perpétuel conflit et d'un étrange paradoxe: conflit opposant l'opprimé à son oppresseur, la société
civile à l'Etat, la conscience humaine à la barbarie - paradoxe de l'opprimé qui, libéré de ses chaînes,
assume à son tour la responsabilité de l'Etat et se trouve pris dans l'engrenage de la réconciliation
nationale venant relativiser son engagement initial contre l'impunité." Ce propos, qui introduisait le
rapport préliminaire présenté à la Sous-Commission en 1993 (E/CN.4tSub.2/l993/6), est toujours
d'actualité et peut être opportunément cité en guise de postface.
Annexe I
Présentation synoptique de l'Ensemble de principes pour la
protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre
l'impunité.
PREAMBULE
DEFINITIONS
"Impunité"; "Crimes graves selon le droit international"
I. LE DROIT DE SAVOIR
A. Principes généraux
Principe 1: Le droit inaliénable à la vérité
Principe 2: Le devoir de mémoire
Principe 3: Le droit de savoir des victimes
Principe 4: Garanties destinées à rendre effectif le droit de savoir
B. Les commissions non judiciaires d'enquête
Principe 5: Rôle des commissions non judiciaires d'enquete
Principe 6: Garanties d'indépendance et d'impartialité
Principe 7: Délimitation du mandat des commissions
Principe 8: Garanties concernant les personnes mises en cause
Principe 9: Garanties concernant les victimes et les témoins déposant en leur faveur
Principe 10: Fonctionnement des commissions
Principe 11: Missions de conseil des commissions
Principe 12: Publicité du rapport des commissions
C. La préservation et l'accès aux archives permettant d'établir les violations
Principe 13: Mesures de préservation des archives
Principe 14: Mesures facilitant l'accès aux archives
Principe 15: Coopération des services d'archives avec les tribunaux et les commissions non
judiciaires d'enquête
Principe 16: Mesures spécifiques concernant les archives à caractère nominatif
Principe 17: Mesures spécifiques relatives aux processus de rétablissement de la démocratie et/ou de
la paix ou de la transition vers celles-ci
II. LE DROIT A LA JUSTICE
A. Principes généraux .
Principe 18 : Devoirs des Etats dans le domaine de l'administration de la justice
B. Répartition des compétences entre les juridictions nationales étrangères et
internationales
Principe 19: Compétence des tribunaux pénaux internationaux
Principe 20: Compétence des tribunaux étrangers
Principe 21: Mesures destinées à renforcer l'efficacité des clauses conventionnelles de compétence
universelle
Principé 22: Mesures destinées à établir la compétence extratérritoriale en droit interne
C. Mesures restrictives apportées à certaines règles de droit et qui sont
justifiées par la lutte contre l'impunité.
Principe 23: Nature des mesures à prendre
Principe 24: Restrictions à la prescription
Principe 25: Restrictions et autres mesures relatives à l'amnistie
Principe 26: Restrictions au droit d'asile
Principe 27: Restrictions à l'extradition
Principe 28: Restrictions à l'exclusion de la procédure in abstentia
Principe 29: Restrictions aux justifications pouvant être liées à l'obéissance due
Principe 30: Restrictions aux effets des lois sur le repentir liées aux processus de rétablissement de la
démocratie et/ou de la paix ou de transition vers celles-ci
Principe 31: Restrictions à la compétence des tribunaux militaires
Principe 32: Restrictions au principe de l'inamovibilité des juges
III. LE DROIT A REPARATION
A. Principes généraux
Principe 33: Droits et devoirs nés de l'obligation de réparer
Principe 34: Procédures de recours en réparation
Principe 35: Publicité des procédures de réparation
Principe 36: Champ d'application du droit à réparation
B. Garanties de non-renouvellement des violations
Principe 37: Domaines concernés par les garanties de non-renouvellement
Principe 38: Dissolution des groupements armés non officiels directement ou indirectement liés à
l'Etat ainsi que des groupements privés bénéficiant de sa passivité
Principe 39: Abrogation des législations et juridictions d'exception
Principe 40: Mesures administratives ou autres concernant les agents de l'Etat impliqués dans les
processus de violations graves des droits de l'homme
Principe 41: Modalités de mise en oeuvre des mesures administratives
Principe 42: Nature des mesures pouvant être prises à l'égard des agents de l'Etat
Annexe II
Ensemble de principes pour la protection et la promotion Des droits
de l'homme par la lutte contra l'impunité.
PREAMBULE
Rappelant le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme, selon lequel la
méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent
la conscience de l'humanité,
Consciente de ce que de tel actes risquent toujours de se produire,
Réaffirmant l'engagement pris par les Etats Membres à l'Article 56 de la Charte des Nations Unies
d'agir, tant conjointement que séparément, en accordant toute son importance au développement
d'une coopération internationale efficace pour atteindre les buts énoncés à l'Article 55 de la Charte
relatif au respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous,
Considérant que le devoir qu'a tout Etat de respecter et de faire respecter les droits de l'homme
exige que soient prises des mesures efficaces pour lutter contre l'impunité,
Consciente de ce qu'il n'est pas de réconciliation juste et durable sans que soit apportée une réponse
effective au besoin de justice,
Consciente éqalement de ce que le pardon, qui peut étre un facteur important de réconciliation,
suppose, en tant qu'acte privé, que soit connu de la victime ou de ses ayants droit l'auteur des
violations et que ce dernier ait reconnu les faits et manifesté son repentir,
Rappelant la recommandation qui figure au paragraphe 91 de la Partie II de la Déclaration et
Programme d'action de Vienne (A/CONF.157/23), par laquelle la Conférence mondiale sur les
droits de l'homme (juin 1993) s'est inquiétée de l'impunité des auteurs des violations des droits de
l'homme et a encouragé les efforts que déploient la Commission des droits de l'homme et la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités pour
examiner tous les aspects de ce problème,
Convaincue, en conséquence, de la nécessité d'adopter à cette fin des mesures d'ordre national et
international pour que soit conjointement assuré, dans l'intérêt des victimes de violations des droits
de l'homme, le respect effectif du droit de savoir qui implique le droit à la vérité, du droit à la justice
et du droit a réparation sans lesquels il n'est pas de remède efficace contre les effets néfastes de
l'impunité,
L'Assemblée générale
Décide, en s'appuyant sur la Déclaration et le Programme d'action de Vienne, de proclamer
solennellement les principes suivants à l'intention des Etats lorsqu'ils sont confrontés à la lutte contre
ltimpunité.
DEFINITIONS
A. "Impunité"
L'impunité se définit par l'absence, en droit ou en fait, de la misè en cause de la responsabilité pénale
des auteurs de violations des droits de l'homme, ainsi que de leur responsabilité civile, administrative
ou disciplinaire-, en ce qu'ils échappent à toute enquête tendant à permettre leur mise en accusation,
leur arrestation, leur jugement et, s'ils sont reconnus coupables, leur condamnation à des peines
appropriées, y compris à réparer le préjudice subi par leurs victimes.
B. "Crimes graves selon le droit international"
Au sens des présents principes, cette qualification s'entend des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité, y compris le génocide, et des infractions graves au droit international humanitaire.
C. "Processus en vue du rétablissement de la démocratie et/ou de la
paix ou de la transition vers celles-cit'
Au sens des présents principes, cette expression vise les situations au terme desquelles, dans le cadre
d'un processus donnant lieu à un dialogue national en faveur de la démocratie ou à des négociations
de paix pour mettre un terme à un conflit armé, un accord, quelle qu'en soit la forme, intervient par
lequel les acteurs ou parties concernés s'entendent pour prendre, à cette occasion, des mesures contre
l'impunité et le renouvellement des violations des droits de l'homme.
I. LE DROIT DE SAVOIR
A. Principes généraux
PRINCIPE 1 - LE DROIT INALIENABLE A LA VERITE
Chaque peuple a le droit inaliénable de connaitre la vérité sur les événements passés, ainsi que sur
les circonstances et les raisons qui ont conduit, par la violation massive ou systématique des droits
de l'homme, à la perpétration de crimes aberrants. L'exercice plein et effectif du droit à la vérité est
essentiel pour éviter qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent.
PRINCIPE 2 - LE DEVOIR DE MEMOIRE
La connaissance par un peuple de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine et, comme
telle, doit être préservée par des mesures appropriées au nom du devoir de mémoire qui incombe à
l'Etat. Ces mesures ont pour but de préserver de l'oubli la mémoire collective, notamment pour se
prémunir contre le développement de thèses révisionnistes et négationnistes.
PRINCIPE 3 - LE DROIT DE SAVOIR DES VICTIMES
Indépendamment de toute action en justice, les victimes, ainsi que leurs familles et leurs proches, ont
le droit imprescriptible de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles ont été commises
les violations et, en cas de décès ou de disparition, sur le sort qui a été réservé à la victime.
PRINCIPE 4 - GARANTIES DESTINEES A RENDRE EFFECTIF LE
DROIT DE SAVOIR
Il appartient aux Etats de prendre les mesures appropriéès pour rendre effectif le droit de savoir.
Lorsque les institutions judiciaires sont defaillantes, priorité doit être donnée, dans un premier
temps, aux-mesures tendant d'une part à la création de commissions non judiciaires d'enquête,
d'autre part à la préservation et à l'accès aux archives concernées.
B. Les commissions non iudiciaires d'enquête
PRINCIPE 5 - ROLE DES COMMISSIONS NON JUDICIAIRES
D'ENQUETE
Les commissions non judiciaires d'enquête ont pour mission d'établir les faits dans l'intérêt de la
recherche de la vérité, notamment pour éviter la disparition des preuves.
Afin que soient rétablis dans leur dignité les victimes, leur famille et les défenseurs des droits de
l'homme, ces investigations doivent être menées dans le souci de faire reconnaître la part de vérité
qui auparavant était constamment niée.
PRINCIPE 6 - GARANTIES D'INDEPENDANCE ET D'IMPARTIALITE
Afin de fonder leur légitimité sur des garanties incontestables d'indépendance et d'impartialité, les
commissions, y compris lorsqu'elles ont un caractère international, doivent tenir compte, dans leur
statut, des principes suivants:
- a) Elles doivent être créées par la loi. Lorsqu'un processus en vue du rétablissement de la
démocratie et/ou de la paix ou de la trans it ion vers celles-ci est engagé, les commissions peuvent
être créées par un acte réglementaire ou conventionnel venant conclure un processus de dialogue
national ou un accord de paix;
- b) Elles doivent être composées selon des critères rendant sensibles aux yeux de l'opinion la
compétence dans le domaine des droits de l'homme et l'impartialité de leurs membres et selon des
modalités assurant leur indépendance, notamment par leur inamovibilité pendant la curée de leur
mandat;
- c) Leurs membres bénéficient des privilèges et immunités nécessaires à leur protection, y compris
lorsqu'a cessé leur mission et spécialement à l'égard de toute action en diffamation ou de toute
autre action civile ou pénale qui pourrait leur être intentée sur la base de faits ou d'appréciations
mentionnés dans le rapport.
PRINCIPE 7 - DELIMITATION DU MANDAT DES COMMISSIONS
Pour éviter les conflits de compétence, le mandat des commissions doit être clairement défini. A cet
effet, il comporte au minimum les précisions et limitations suivantes:
- a) Les commissions n'ont pas; vocation à se substituer à la justice, tant civile ou administrative
que pénale, qui demeure seulé compétente pour établir la responsabilité individuelle notamment
pénale, en vue de se prononcer, le cas échéant, sur la culpabilité puis sur la peine;
- b) Les modalités selon lesquelles elles peuvent être habilitées, en tant que de besoin, à faire appel
à l'assistance de la force publique, y compris, sous réserve du principe 9 a) pour faire procéder à
des comparutions, à effectuer des visites dans tous lieux concernés par ses investigations ainsi
qu'à obtenir la production de pièces pertinentes;
- c) Lorsque les commissions ont des raisons de croire que la vie, la santé ou la sécurité d'une
personne concernée par leurs investigations est menacée ou qu'il y a risque de perte d'un élément
de preuve, elles peuvent s'adresser à un tribunal en vue d'obtenir, selon une procédure d'urgence,
une mesure propre à faire cesser cette menace ou ce risque;
- d) Leurs investigations portent sur toutes les personnes visées par des allégations de violations
des droits de l'homme, qu'elles les aient ordonnées ou bien commises, comme auteur ou complice,
qu'il s'agisse, d'une part, d'agents de l'Etat ou de groupes armés para-étatiques ou privés ayant ur
lien quelconque avec l'Etat, d'autre part, de mouvements armés non étatiques ayant la qualité de
belligérants. Leurs investigations peuvent également porter sur les allégations de crimes commis
par tous autres groupes organisés armés non étatiques;
- e) Les commissions sont compétentes pour connaître de toutes les formes de violations des droits
de l'homme; leurs investigations portent en priori té sur cel les qui constituent des crimes graves
selon le droit international et accordent une attention particulière aux violations des droits
fondamentaux des femmes. Les commissions s'attachent:
i) A analyser et décrire les mécanismes étatiques du système violateur, et à identifier, d'une
part, les groupes victimes et, d'autre part, les administrations, agences et entités privées
impliquées en reconstituant leur rôle;
ii) A sauvegarder les preuves dans l'intérêt ultérieur de la justice.
PRINCIPE 8 - GARANTIES CONCERNANT LES PERSONNES MISES EN
CAUSE
Lorsque des personnes sont mises en cause à l'occasion de l'établissement des faits, spécialement s'il
est prévu dans le mandat de la commission qu'elle est habilitée à divulguer leur nom, les garanties
suivantes, fondées sur le principe de contradiction, doivent être assurées:
- a) La commission doit s'efforcer de corroborer les informations recueillies par d'autres sources;
- b) La personne impliquée doit soit avoir été entendue ou, à tout le moins convoquée à cet effet, et
avoir la possibilité de faire valoir sa version des faits par une déposition, ou de verser au dossier,
dans un délai fixe prévu par l'acte créant la commission, un document équivalant à un droit de
réponsè. Les règlès de preuve prévues âu principe 16 c) sont applicables.
PRINCIPE 9 - GARANTIES CONCERNANT LES VICTIMES ET LES
TEMOINS DEPOSANT EN LEUR FAVEUR
Des mésures doivent être prises pour assurer la sécurité et la protection des victimes et des témoins
déposant en leur faveur :
- a) Ils ne peuvent être appelés à témoigner devant la commission que sur une base strictement
volontaire;
- b) Lorsque, dans leur intérêt, l'anonymat doit être appliqué, une telle mesure ne peut être admise
qu'à la triple condition:
i) d'être exceptionnelle, à moins qu'il ne s'agisse de victimes d'agressions ou de violences
sexuelles;
ii) que le président et un membre de la commission soient habilités à s'assurer du bien-fondé
de la demande d'anonymat et, confidentiellement, de l'identité du témoin afin d'être en mesure
de s'en porter garants auprès des autres membres de la commission;
iii) qu'il soit en principe fait mention, dans le rapport, de la teneur du témoignage s'il est retenu
par la commission;
- c) Dans la mesure du possible, des travailleurs sociaux et des praticiens des soins en santé
mentale sont habilités à assister les victimes, de préférence dans leur langue, tant pendant
qu'après leur déposition, spécialement lorsqu'il s'agit d'agressions ou violences sexuelles;
- d) Les dépenses engagées par les auteurs de ces témoignages doivent être prises en charge par
l'Etat.
PRINCIPE 10 - FONCTIONNEMENT DES COMMISSIONS
Les commissions disposent :
- a) De moyens financiers transparents pour éviter que leur indépendance ne soit suspectée;
- b) D'une dotation suffisante en matériel et en personnel pour que leur crédibilité ne puisse être
mise en cause.
PRINCI PE 11 - MISSIONS DE CONSEIL DES COMMISSIONS
Le mandat des commissions comporte des dispositions les invitant à faire des recommandations dans
leur rapport final pour lutter contre l'impunité.
Ces recommandations contiennent notamment des propositions ayant pour but:
- à partir des faits et des responsabilités qui ont été établies, d'inciter les auteurs des violations à les
reconnaître;
- d'inviter le gouvernement à adhérer aux instruments internationaux pertinents non encore ratifiés;
- de proposer des mesures législatives ou autres destinées à mettre en oeuvre les présents principes
et à prévenir le renouvellement des violations en question. Ces mesures concernent en priorité
l'armée, la police et la justice, le renforcement des institutions démocratiques ainsi que, le cas
échéant, les modalités de réparation des violations des droits fondamentaux des femmes et de
prévention de leur renouvellement.
PRINCIPE 12 - PUBLICITE DU RAPPORT DES COMMISSIONS
Pour des raisons de sécurité ou pour éviter les pressions sur les témoins et les membres des
commissions, les mandats de ces dernières peuvent prévoir que la conduite de l'enquête sera soumise
à la confidentialité. En revanche, le rapport final doit être intégralement rendu public et faire l'objet
de la diffusion la plus large.
C. La préservation et l'accès aux archives permettant
d'établir les violations.
PRINCIPE 13 - MESURES DE PRESERVATION DES ARCHIVES
Le droit de savoir implique que soient préservées les archives. Des mesures techniques et des
sanctions pénales doivent être prises pour s'opposer à la soustraction, la destruction, la dissimulation
ou la falsification des archives, notamment dans le but d'assurer l'impunité d'auteurs de violations
des droits de l'homme.
PRINCIPE 14 - MESURES FACILITANT L'ACCES AUX ARCHIVES
L'accès aux archives doit être facilité dans l'intérét des victimes et de leurs proches pour faire valoir
leurs droits.
Il en est de même, en tant que de besoin, pour les personnes mises en cause qui le demandent en vue
d'assurer leur défense.
Lorsque l'accés est prévu dans l'intérêt de la recherche historique, les formalités d'autorisation ont en
principe pour seule finalité le contrôle de l'accés et ne- peuvent être détournées à des fins de censure.
PRINCIPE 15 - COOPERATION DES SERVICES D'ARCHIVES AVEC
LES TRIBUNAUX ET LES COMMISSIONS NON JUDICIAIRES
D'ENQUETE
Les tribunaux et les commissions non judiciaires d'enquête, ainsi que les enquêteurs travaillant sous
leur responsabilité, doivent avoir librement accès aux archives. Le secret-défense ne peut leur être
opposé. Toutefois, en vertu de leur pouvoir souverain d'appréciation, les tribunaux et commissions
non judiciaires d'enquête peuvent décider, à titre exceptionnel, de ne pas rendre publiques certaines
informations pouvant compromettre le processus de préservation ou de rétablissement de l'état-de
droit auquel elles contribuent.
PRINCIPE 16 - MESURES SPECIFIQUES CONCERNANT LES
ARCHIVES A CARACTERE NOMINATIF
- a) Sont réputées nominatives, au sens du présent principe, les archives contenant des informations
qui permettent, sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, l'identification des
personnes auxquelles elles se rapportent, quel qu'en soit le support, qu'il s'agisse de dossiers ou de
fichiers manuels ou informatisés.
- b) Toute personne a le droit de savoir si elle figure dans lesdites archives et, le cas échéant, après
avoir usé de son droit d'accès, de contester le bien-fondé des informations la concernant en
exerçant un droit de réponse. Le document exposant sa propre version doit être annexé au
document contesté.
- c) Sauf lorsque de telles informations se rapportent à leurs dirigeants ainsi qu'à des collaborateurs
permanents, les informations nominatives contenues dans les archives des services de
renseignements ne peuvent constituer à elles seules des preuves à charge, à moins qu'elles ne
soient corroborées par d'autres sources fiables et diversifiées.
PRINCIPE 17 - MESURES SPECIFIQUES RELATIVES AUX PROCESSUS
DE RETABLISSEMENT DE LA DEMOCRATIE ET/OU DE LA PAIX OU
DE TRANSITION VERS CELLES-CI
- a) Des mesures sont prises pour que chaque centre d'archives soit placé sous la responsabilité
d'une personne nommément désignée. Si cette personne en avait déjà la charge, elle doit être
reconduite dans ses fonctions par une décision spéciale, sous réserve des modalités et garanties
prévues au principe 41.
- b) Dans un premier temps, priorité est donnée à l'inventaire des archives stockées, ainsi qu'à la
vérification de la fiabilité des inventaires existants. Une attention toute particulière doit étre
apportée aux archives des lieux de détention, en particulier lorsqu'ils n'avaient pas d'existence
officielle.
- c) Cet inventaire concerne en outre les archives pertinentes détenues par des pays tiers qui se
doivent de coopérer en vue de leur communication ou restitution aux fins d'établissement de la
vérité.
II. LE DROIT A LA JUSTICE
A. Principes généraux
PRINCIPE 18 - DEVOIRS DES ETATS DANS LE DOMAINE DE
L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE
L'impunité constitue un manquement aux obligations qu'ont les Etats d'enquêter sur les violations,
de prendre des mesures adéquates à l'égard de leurs auteurs, notamment dans le domaine de la
justice, pour qu'ils soient poursuivis, jugés et condamnés à des peines appropriées, d'assurer aux
victimes des voies de recours efficaces et la réparation du préjudice subi, et de prendre toutes
mesures destinées à éviter le renouvellement de telles violations.
Si l'initiative des poursuites relève en premier lieu des missions de l'Etat, des règles complémentaires
de procédure doivent être prises pour permettre à toute victime d'en prendre elle-même l'initiative,
individuellement ou collectivement, en cas de carence des pouvoirs publics, notamment en se
constituant partie civile. Cette faculté devrait être étendue aux organisations non gouvernementales
justifiant d'une action reconnue en faveur de la défense des victimes concernées.
B. Répartition des compétences entre les juridictions
nationales. étrangères et internationales.
PRINCIPE 19 - COMPETENCE DES TRIBUNAUX PENAUX
INTERNATIONAUX
La compétence territoriale des tribunaux nationaux demeure en principe la règle. La compétence
concurrente d'un tribunal pénal international peut être retenue lorsque les tribunaux nationaux ne
présentent pas encore de garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité ou sont dans
l'impossibilité matérielle de fonctionner.
A cet effet, le tribunal pénal international peut, à tout moment de la procédure, demander à la
juridiction nationale, qui doit obtempérer, de se dessaisir à son profit.
PRINCIPE 20 - COMPETENCE DES TRIBUNAUX ETRANGERS
La compétence des tribunaux étrangers s'exerce dans le cadre soit d'une clause de compétence
universelle prévue dans un traité en vigueur, soit d'une disposition de la loi interne établissant une
règle de compétence extraterritoriale pour les crimes graves selon le droit international.
PRINCIPE 21 - MESURES DESTINEES A RENFORCER L'EFFICACITE
DES CLAUSES CONVENTIONNELLES DE COMPETENCE
UNIVERSELLE
- a) Une clause de compétence universelle devrait être prévue dans tous les instruments
internationaux des droits de l'homme appropriés.
- b) En ratifiant ces instruments, les Etats s'engagent, par l'effet d'une telle clause, à rechercher,
faire rechercher et poursuivre, en vue de leur jugement ou de leur extradition, les personnes à
l'égard desquelles il existe des charges précises et concordantes selon lesquelles elles ont pu
violer les principes relatifs aux droits de l'homme prévus par lesdits instruments. Ils ont en
conséquence l'obligation de prendre les mesures législatives ou autres de droit interne permettant
de rendre effective la mise en oeuvre de la clause de compétence universelle.
PRINCIPE 22 - MESURES DESTINEES A ETABLIR LA COMPETENCE
EXTRATERRITORIALE EN DROIT INTERNE
En l'absence d'une ratification permettant d'opposer une telle clause de compétence universelle au
pays où la violation a été commise, les Etats peuvent prendre, dans un souci d'efficacité, des mesures
dans leur législation interne, pour établir leur compétence extraterritoriale sur les crimes graves
selon le droit international commis en dehors de leur territoire et qui, en raison de leur nature, ne
relèvent pas seulement du droit pénal interne, mais aussi d'un ordre répressif international auquel la
notion de frontières est étrangère.
C. Mesures restrictives apportées à certaines règles de
droit et qui sont justifiées car la lutte contre
l'impunité.
PRINCIPE 23 - NATURE DES MESURES A PRENDRE
Des garanties doivent être apportées contre les déviations résultant de l'utilisation à des fins
d'impunité de la prescription, de l'amnistie, du droit d'asile, du refus d'extradition, de l'absence de
procédure in abstentia, de l'obéissance due, des législations sur les "repentis", de la compétence des
tribunaux militaires, ainsi que du principe d'inamovibilité des juges.
PRINCIPE 24 - RESTRICTIONS A LA PRESCRIPTION
La prescription pénale, tant en ce qui concerne les poursuites que la peine, ne peut courir pendant la
période où il n'existe pas de recours efficaçe .
Elle n'est pas applicable aux crimes graves selon le droit international qui sont par nature
imprescriptibles.
Lorsqu'elle s'applique, la prescription n'est pas opposable aux actions civiles ou administratives
exercées par les victimes en réparation de leur préjudice.
PRINCIPE 25 - RESTRICTIONS ET AUTRES MESURES RELATIVES A
L'AMNISTIE
Y compris lorsqu'elles sont destinées à créer des conditions propices à un accord de paix ou à
favoriser la réconciliation nationale, l'amnistie et les autres mesures de clémence doivent être
contenues dans les limites suivantes:
- a) Les auteurs des crimes graves selon le droit international ne peuvent bénéficier de telles
mesures tant que l'Etat n'a pas satisfait aux obligations énumérées au principe 18;
- b) Elles sont sans effet sur le droit à réparation des victimes prévu aux principes 33 à 36;
- c) En tant qu'élle peut être interprétee comme un aveu de culpabilité, l'amnistie ne peut être
imposée aux personnes poursuivies ou condamnées pour des faits survenus à l'occasion de
l'exercice pacifique du droit à la liberté d'opinion et d'expression. Lorsqu'elles n'ont fait qu'exercer
ce droit légitime, tel que garanti par les articles 18 à 20 de la Déclaration universelle des droits
de l'homme, et 18, 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, une
loi doit réputer nulle et non avenue à leur égard toute décision de justice ou autre les concernant;
il est mis fin sans conditions ni délais à leur détention;
- d) Toute personne condamnée pour des infractions autres que celles qui sont prévues à l'alinéa c)
du présent principe et entrant dans le champ d'application de l'amnistie peut la refuser et
demander la révision de son procès si elle a été jugée sans bénéficier du droit à un procès
équitable garanti par les articles 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme,
ainsi que par les articles 9, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
ou si elle a été soumise, en particulier sous la torture, à des interrogatoires inhumains ou
dégradants.
PRINCIPE 26 - RESTRICTIONS AU DROIT D'ASILE
En application de l'article 1, paragraphe 2, de la Déclaration sur l'asile territorial adoptée par
l'Assemblée générale le 14 décembre 1967 et de l'article 1 F de la Convention relative au statut des
réfugiés du 28 juillet 1951, les Etats ne peuvent faire benéficier de ces statuts protecteurs, y compris
de l'asile diplomatique, les personnes dont on a des motifs sérieux de croire qu'elles sont les auteurs
de crimes graves selon le droit international.
PRINCIPE 27 - RESTRICTIONS A L'EXTRADITION
Les auteurs de crimes graves selon le droit international ne peuvent, dans le but d'éviter leur
extradition, se prévaloir des dispositions favorables généralement attachées aux infractions à
caractère politique, ni au principe de non-extradition des nationaux. Toutefois, l'extradition devrait
toujours être refusée, spécialement par les pays abolitionnistes, lorsque la personne concernée
encourt effectivement la peine de mort dans le pays requérant.
PRINCIPE 28 - RESTRICTIONS A L'EXCLUSION DE LA PROCEDURE
IN ABSTENTIA
Sauf à constituer une garantie d'impunité, la non-reconnaissance par un système juridique de la
procédure in abstentia devrait être limitée à la seule phase du jugement afin que puissent être
menées les investigations nécessaires, y compris l'audition des témoins et victimes, permettant de
délivrer un acte d'accusation suivi d'un mandat de recherche et d'arrestation, le cas échéant
international, exécuté selon les procédures prévues par le statut de l'Organisation internationale de
police criminelle (OIPC-Interpol).
PRINCIPE 29 - RESTRICTIONS AUX JUSTIFICATIONS POUVANT
ETRE LIEES A L'OBEISSANCE DUE
- a) Le fait, pour l'auteur des violations, d'avoir agi sur ordre de son gouvernement ou d'un
supérieur hiérarchiqué ne l'exonèré pas de sa responsabilité, notamment pénale, mais peut être
considéré comme un motif de diminution de la peine si cela est conforme à la Justice.
- b) Le fait que les violations aient-été commises par un subordonné n'exonère pas ses supérieurs
de leur responsabilité, notamment pénale, s'ils savaient ou avaient des raisons de savoir, dans les
circonstances du moment, que ce subordonné commettait ou allait commettre un tel crime et s'ils
n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires en leur pouvoir pour empêcher ou réprimer ce crime.
La qualité officielle de l'auteur d'un crime selon le droit international, même s'il agit en qualité de
chef d'Etat ou de gouvernement, ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale et n'est pas un motif
de diminution de la peine.
PRINCIPE 30 - RESTRICTIONS AUX EFFETS DES LOIS SUR LE
REPENTIR LIEES AUX PROCESSUS DE RETABLISSEMENT DE LA
DEMOCRATIE ET/OU DE LA PAIX OU DE TRANSITION VERS
CELLES-CI
Le fait que l'auteur, postérieurement à la période des persécutions, révèle ses propres violations ou
celles commises par d'autres, en vue de bénéficier des dispositions favorables des législations
relatives au repentir, ne peut l'exonérer de sa responsabilité, notamment pénale. Cette révélation peut
seulement être une cause de diminution de la peine afin de favoriser la manifestation de la vérité.
Lorsque les révélations ont été faites pendant la période des persécutions, cette atténuation peut aller
jusqu'à une mesure de dispense de peine en raison des risques encourus à l'époque par l'intéressé.
Dans cette hypothèse et par dérogation au principe 26, l'asile - et non le statut de réfugié - peut être
accordé à l'auteur des révélations, afin de faciliter la manifestation de la vérité.
PRINCIPE 31 - RESTRICTIONS A LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX
MILITAIRES
Afin d'éviter que, dans les pays où ils n'ont pas encore été abrogés, les tribunaux militaires ne
contribuent à la pérennisation de l'impunité en raison d'une insuffisante indépendance due au lien de
subordination hiérarchique auquel sont soumis tous ou partie de leurs membres, leur compétence
doit être limitée aux seules infractions spécifiquement militaires commises par des militaires, à
l'exclusion des violations des droits de l'homme qui relèvent de la compétence des juridictions
ordinaires internes ou, le cas échéant, s'agissant de crimes graves selon le droit international, d'une
juridiction pénale internationale.
PRINCIPE 32 - RESTRICTIONS AU PRINCIPE DE L'INAMOVIBILITE
DES JUGES
Le principe d'inamovibilité, garantie essentielle de l'indépendance des juges, doit être respecté à
l'égard des magistrats qui ont été nommés.selon une procédure conforme à un état de droit. En
revanche, ceux qui ont été désignés illégitimement ou qui ont tiré leur pouvoir juridictionnel d'un
acte d'allégeance, peuvent être démis de leurs fonctions par la loi en application du principe du
parallelisme des formes. Ils peùvènt démander à bénéficier des garanties fixées par les principes 41et
42, notamment en vue de solliciter, le cas échéant, leur réintégration.
III. LE DROIT A REPARATION
A. Principes généraux
PRINCIPE 33 - DROITS ET DEVOIRS NES DE L'OBLIGATION DE
REPARER
Toute violation d'un droit de l'homme fait naitre un droit à réparation en faveur de la victime ou de
ses ayants droit qui implique, à la charge de l'Etat, le devoir de réparer et la faculté de se retourner
contre l'auteur.
PRINCIPE 34 - PROCEDURES DE RECOURS EN REPARATION
Que ce soit par la voie pénale, civile, administrative ou disciplinaire, toute victime doit avoir la
possibilité d'exercer un recours aisément accessible, prompt et efficace, comportant les restrictions
apportées à la prescription par le principe 24; elle doit bénéficier, dans l'exercice de ce recours, d'une
protection contre les intimidations et représailles.
L'exercice du droit à réparation inclut l'accès aux procédures internationales applicables.
PRINCIPE 35 - PUBLICI'TE DES PROCEDURES DE REPARATION
Les procédures ad hoc permettant aux victimes d'exercer leur droit à réparation font l'objet de la
publicité la plus large possible, y compris par des moyens de communication privés. Cette diffusion
doit être assurée tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, y compris par la voie consulaire,
spécialement dans les pays où ont dû s'exiler de nombreuses victimes.
PRINCIPE 36 - CHAMP D'APPLICATION DU DROIT A REPARATION
Le droit à réparation doit couvrir l'intégralité des préjudices subis par la victime; il comprend, d'une
part, les mesures individuelles relatives au droit à restitution, à indemnisation et à réadaptation et,
d'autre part, des mesures satisfactoires de portée générale telles que celles qui sont prévues par
l'Ensemble de principes et directives fondamentaux concernant le droit à réparation (voir ci-dessus
par. 41).
Dans les cas de disparitions forcées, lorsqu'est élucidé le sort de la personne disparue, sa famille a le
droit imprescriptible d'en être informée et, en cas de décès, le corps doit lui être restitué dès son
identification, que les auteurs aient ou non été identifiés, poursuivis ou jugés.
B. Garanties de non-renouvellement des violations
PRINCIPE 37 - DOMAINES CONCERNES PAR LES GARANTIES DE
NON-RENOUVELLEMENT
L'Etat doit prendre des mesures appropriées afin que les victimes ne puissent être à nouveau
confrontées à des violations portant atteinte a leur dignité. Sont à considérer avec priorité:
- a) Les mesures destinées à dissoudre les groupements armés para-étatiques;
- b) Les mesure abrogeant les dispositions d'exception, legislarives ou autres, qui favorisent les
violations;
- c) Les mesures administratives ou autres à prendre à l'égard des agents de l'Etat impliqués dans
les processus de violations graves des droits de l'homme.
PRINCIPE 38 - DISSOLUTION DES GROUPEMENTS ARMES NON
OFFICIELS DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT LIES A L'ETAT
AINSI QUE DES GROUPEMENTS PRIVES BENEFICIANT DE SA
PASSIVITE
En vue de prononcer efficacement la dissolution de ces groupements, spécialement lorsqu'est engagé
un processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou de transition vers celles-ci, les
mesures à prendre doivent porter prioritairement sur les points suivants:
- a) Reconstitution de leur organigramme, d'une part en identifiant les exécutants afin de faire
apparaltre, le cas échéant, leur fonction dans l'administration, spécialement dans l'armée et la
police, d'autre part, en établissant les liaisons occultes qu'ils entretenaient avec leurs
commanditaires actifs ou passifs appartenant notamment aux services de renseignements et de
sécurité ou, le cas échéant, à des groupes de pression. Les informations ainsi recueillies sont
rendues publiques;
- b) Enquête approfondie sur les services de renseignements et de sécurité en vue de la
réorientation de leurs missions;
- c) Obtenir la coopération des pays tiers dont il apparaît qu'ils ont pu contribuer à la création ou
au développement de tels groupements, notamment par un appui financier ou logistique;
- d) Prévoir un plan de reconversion afin d'éviter que les personnes ayant appartenu à de tels
groupements ne soient tentées de rejoindre les rangs de la délinquance organisée de droit
commun.
PRINCIPE 39 - ABROGATION DES LEGISLATIONS ET JURIDICTIONS
D'EXCEPTION
Les législations et les juridictions d'exception, quelle que soit leur dénomination, doivent être
abrogées dans leurs dispositions portant atteinte aux libertés et droits fondamentaux tels que garantis
par la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils
et politiques.
L'habeas corpus, quelle que soit sa dénomination, doit être considéré comme un droit fondamental
de la personne et, comme tel, relever de la catégorie des droits indérogeables.
PRINCIPE 40 - MESURES ADMINISTRATIVES OU AUTRES
CONCERNANT LES AGENTS DE L'ETAT IMPLIQUES DANS LES
PROCESSUS DE VIOLATIONS GRAVES DES DROITS DE L'HOMME
Ces mesures ont un caractère préventif et non répressif; elles peuvent, en conséquence, être prises
par la voie, de décisionsi administratives à la condition que les modalités de leur mise en oeuvre
soient prévues par la loi. Lorsqu'un processus de rétablissement de la démocratie et/ou de la paix ou
de transition vers celles-ci est engagé, ces mesures peuvent être prises par un acte réglementaire ou
conventionnel; elles ont pour objectif d'éviter que ne soit entravé ou remis en cause au sein de
l'administration le processus engage.
Elles sont en toutes circonstances distinctes de celles, de nature punitive et judiciaire, qui sont
prévues aux principes 18 et suivants applicables par les tribunaux aux personnes poursuivies et
jugées pour des violations des droits de l'homme.
PRINCIPE 41 - MODALITES DE MISE EN OEUVRE DES MESURES
ADMINISTRATIVES
Lorsqu'un tel processus est engagé, la mise en oeuvre des mesures administratives est précédée du
recensement des postes de responsabilité comportant un pouvoir décisionnel influent et donc un
devoir de loyauté à l'égard du processus. Ce recensement considère en priorité les postes de
responsabilité concernant l'armée, la police et la justice.
Pour apprécier la situation de chaque titulaire en fonction, on prendra en considération:
- a) Ses antécédents dans le domaine des droits de l'homme, notamment pendant la période des
persécutions;
- b) Sa non-compromission dans des faits de corruption;
- c) Sa compétence professionnelle;
- d) Son aptitude à promouvoir le processus de paix et/ou de démocratisation, notamment dans le
respect des garanties constitutionnelles et des droits de l'homme.
La décision est prise par le chef du gouvernement, ou sous sa responsabilité, par le ministre de
tutelle, après que l'agent de l'Etat concerné, informé des griefs retenus à son encontre, a été dûment
entendu ou convoqué à cet effet.
L'agent doit pouvoir bénéficier d'un recours devant la juridiction compétente en matière de
contentieux des actes de l'administration.
Toutefois, compte tenu des circonstances particulières inhérentes à tout processus de transition, le
recours peut être formé dans ce cas devant une commission ad hoc, à compétence exclusive, à la
condition qu'elle réponde aux critères d'indépendance, d'impartialité et de fonctionnement prévus
aux principes 6 a) et b), 7 a), 8 et 10.
PRINCIPE 42 - NATURE DES MESURES POUVANT ETRE PRISES A
L'EGARD DES AGENTS
Saùf s'il est confirmé dans ses fonctions, l'agent concerné peut faire l'objet d'une mesure :
- a) De retrait d'habilitation pour certaines fonctions;
- b) De suspension, dans l'attente d'une éventuelle confirmation dans ses fonctions ou de sa
nomination à un autre poste;
- c) De mutation;
- d) De rétrogradation;
- e) De retraite anticipée;
- f) De révocation.
En ce qui concerne l'inamovibilité des magistrats, la décision est prise en tenant compte des garanties
les concernant prévues au principe 32.
Editado electrónicamente en Madrid por el Equipo Nizkor del orginial del documento de la ONU
E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1 el 3 de enero de 1998.
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